Lorsque le PDG de Zappos, Tony Hsieh, a annoncé vouloir expérimenter l’holocratie au sein de son entreprise en 2013, son objectif était de la rendre plus agile en aplanissant sa hiérarchie. Mais aussi, en supprimant les fiches de poste et leur rôle bien défini. Désormais, les employés du géant de la mode en ligne pourraient se dédier à la tâche de leur choix, dans la configuration qui leur semblait la plus pertinente.
Tony Hsieh était tellement convaincu du potentiel de cette nouvelle méthode de gestion qu’il a donné un ultimatum à ses 1500 employés. Soit ces derniers adoptaient ce “nouveau normal”, soit ils quittaient l’entreprise. Résultat, près de 18 % d’entre eux ont pris volontairement la porte.
La transition d’un management pyramidal à l’holocratie est-elle un changement trop radical pour votre organisation ? Ou au contraire, gagnerait-elle à être conduite en douceur, pour accompagner vos collaborateurs ?
Dans cet article, nous vous présentons ce concept organisationnel, ses bénéfices et les stratégies pour l’adopter.
Qu’est-ce que l’holocratie ?
L’holocracie est un concept proche de l’auto-organisation. Concrètement, elle prend la forme d’une méthode prête à l’emploi et de règles à suivre pour changer la gestion de travail au sein d’une entreprise.
Ces règles, justement, s’appliquent à tout le monde de la même manière. Finis la hiérarchie et les échelons… Tout le monde est logé à la même enseigne et personne n’est au-dessus ou exempté des règles.
Ces dernières ont pour objectif d’apporter à l’organisation l’ingénierie sociale qui permettra à chaque idée d’être développée rapidement et de la manière la plus fiable possible. Là encore, tous les employés ont le même pouvoir de proposition et leurs idées sont traitées sur un pied d’égalité.
Le principe de l’holocratie consiste moins à fournir un cadre organisationnel que des outils pour en créer un qui soit adapté à son entreprise. C’est ce qui rend, en théorie du moins, ce dernier “open source” et potentiellement universel.
Les grands principes de l’holocratie peuvent être résumés ainsi :
- L’entreprise est organisée autour d’un objectif. L’auto-organisation se concentre sur un objectif commun qui ne se limite pas au profit de l’entreprise ;
- L’autonomie. La hiérarchie conventionnelle est remplacée par une autorité distribuée. Les composants organisationnels sont regroupés et organisés selon une hiérarchie naturelle d’objectifs ;
- Le développement organisationnel agile. L’organisation est dynamique, change continuellement et se développe de manière agile. La prédiction et le contrôle descendants font place à la veille et à l’expérimentation ;
- La transparence. Dans un environnement dynamique, les informations et les feedbacks doivent circuler librement. Les employés doivent pouvoir y accéder facilement afin de prendre les meilleures décisions possibles et de continuer à s’améliorer.
Comment fonctionne concrètement l’holocratie ?
Pour atteindre l’idéal de flexibilité et d’indépendance que promet le concept d’holocracie, ce dernier a besoin de trois éléments essentiels. Le premier est la création de rôles fluides plutôt que des descriptions de poste rigides.
Si l’holocracie fonctionne, c’est parce qu’elle permet aux employés d’assumer plusieurs rôles. Les gains en recrutement sont évidents, puisque l’entreprise peut chercher en interne une personne qui possède les compétences nécessaires pour remplir le rôle nécessaire. Mais les salariés gagnent également avec cette flexibilité. Ils sont amenés à expérimenter une plus grande variété de casquettes professionnelles et à améliorer en continu leurs compétences.
Le deuxième élément déterminant de l’holocratie est sa structure en cercles. L’organisation ne comprend plus des silos cloisonnés, mais des cercles (ou équipes) auto-organisées. Mais auto-organisation ne veut pas pour autant dire anarchie ! Les cercles sont organisés de manière hiérarchique les uns entre les autres et se voient assignés des objectifs à atteindre. En revanche, la gouvernance et la prise de décision au sein de chaque cercle sont indépendantes des autres.
Pour proposer des changements à la gouvernance ou aux règles existantes au sein d’un cercle, l’holocratie utilise un processus appelé la « prise de décision intégrative ». Ce dernier est centré sur la collecte des informations pertinentes et sur le bien commun de l’organisation. Il diffère donc d’un système basé sur le consensus ou le consentement des collaborateurs.
Pour finir, l’holocratie diffère en termes de processus opérationnel. Ce dernier repose sur l’organisation des équipes les mieux à même de répondre aux besoins de l’entreprise. Chaque employé jouit de la liberté et de l’autonomie pour décider de la meilleure façon d’atteindre ses objectifs.
Comment s’intègre l’holocratie au sein de l’entreprise ?
Pour mieux comprendre comment s’applique l’holocratie au monde de l’entreprise, rien de mieux que des exemples. Cette forme d’organisation peut s’intégrer au :
- Développement logiciel. De nombreuses entreprises dans ce secteur (notamment les développeurs de jeux vidéo) ont adopté l’holocratie pour favoriser l’agilité, la créativité et la responsabilité au sein de leurs équipes. Concrètement, les développeurs ou les cercles de développeurs sont libres de développer leurs propres jeux. À condition cependant qu’ils répondent à certaines exigences et normes établies par l’entreprise ;
- Relation client. L’holocratie peut également optimiser le support technique d’une entreprise en structurant des cercles autour des besoins spécifiques de ses clients. Mais aussi, en donnant aux employés au sein de ces cercles la liberté de prendre la décision qui, selon eux, répondra le mieux à son problème ;
- Ressources humaines. L’holocratie est un vecteur de fidélisation des talents. Elle permet en effet de donner à chaque collaborateur la liberté de travailler sur les tâches qui, selon lui, correspondent le mieux à ses compétences. La flexibilité et la nature dynamique des rôles au sein des cercles des RH favorisent également les nouvelles idées, approches et styles de gestion appliqués aux autres départements.
Quels sont les avantages de l’holocratie ?
La mise en œuvre d’un système holocratique dans la structure organisationnelle d’une entreprise présente plusieurs avantages, notamment les suivants :
Encourager l’atteinte des objectifs
Les structures holocratiques encouragent chaque membre de l’équipe et chaque cercle à se concentrer sur un objectif. Ce dernier se décompose d’ailleurs sur plusieurs niveaux : celui de l’individu, de son équipe, mais aussi celui de l’entreprise dans sa globalité. Du fait même que chaque employé et chaque groupe concentrent leurs efforts sur leurs objectifs (tous alignés avec la mission de l’entreprise), ils sont plus productifs et plus enclins à la collaboration.
Logiquement, cela entraîne également des livraisons de projets plus rapides et de meilleure qualité. Dans la structure hiérarchique traditionnelle, les projets nécessitent souvent l’approbation de plusieurs niveaux managériaux avant qu’une décision puisse être prise. En adoptant l’autogestion, l’entreprise responsabilise ses employés et leur permet de prendre des décisions autonomes. Ce qui accélère la livraison des projets et permet une plus grande créativité dans leur exécution.
Favoriser le travail d’équipe
Les équipes d’une holocratie s’appuient sur une communication et une coopération optimales pour atteindre des objectifs communs. Ce principe encourage la constitution d’équipes et la mutualisation des efforts pour atteindre ces objectifs. Il favorise ainsi un sentiment de communauté et peut se traduire par une expérience plus épanouissante pour les employés.
Booster la transparence et la communication
Dans une holocratie, les employés ont des rôles et des responsabilités dynamiques, évoluant à mesure que l’entreprise se développe ou explore de nouvelles opportunités. Pour accompagner ces changements, les employés doivent en discuter ensemble et assurer la transparence et la clarté des informations.
Ce niveau de transparence (dans les rôles de chacun et l’avancement des projets) permet également d’identifier plus rapidement les éventuels problèmes ou dynamiques de pouvoir cachées. Et donc, d’y répondre de manière plus réactive pour rétablir des relations de travail saines.
Les critiques de l’holocratie
Sur le papier, l’holocratie semble donc un mode de gestion bien plus démocratique et efficace pour les entreprises et les employés qui l’adoptent. Mais comme l’a montré l’exemple de Zappos, tout le monde n’est pas de cet avis.
Steve Denning, l’auteur du livre The Age of Agile a ainsi fait part de ses doutes dans un article. Il y dénonce notamment l’absence de mécanisme pour intégrer les feedbacks des clients et des parties prenantes. Pour les tenants d’une organisation plus hiérarchique, cette dernière est plus efficace en matière de répétabilité et de mesurabilité que les cercles auto-organisés (plus adaptés pour l’innovation).
Comme le modèle de lean startup avant lui, celui de l’holocratie pose la question de l’adaptabilité des organisations et de leurs membres. En effet, les entreprises qui l’adoptent peuvent rencontrer des problèmes relatifs notamment à l’absence d’un leadership clair ou de propriété des projets. Si ce modèle doit, en théorie, encourager la responsabilité des employés, ces derniers peuvent également refuser d’assumer leur responsabilité en cas d’échec.
Plus globalement, l’holocratie peut être intimidante et poser des difficultés dans sa mise en œuvre. La question de l’adoption est centrale, et beaucoup d’équipes ne seront pas forcément prêtes pour une transition aussi radicale. L’autogestion suppose en effet une capacité individuelle de prise de risque, d’indépendance, mais aussi d’auto-discipline. Et force est de constater qu’aucune entreprise ne peut prétendre être composée uniquement de ce type de profils…
Comment savoir s’il faut adopter l’holocratie ?
L’holocratie étant très différente du management classique, elle ne conviendra pas à tout le monde. Elle est généralement plus adaptée aux entreprises et aux équipes qui se développent mieux dans un environnement autonome. C’est aussi une bonne formule pour encourager l’innovation, accélérer la prise de décisions et leur exécution. Comme pour toute nouvelle approche, mieux vaut donc la tester sur une plus petite équipe avant de décider de l’élargir à toute l’organisation.