Encadrée par la loi depuis 2014, l’entreprise ESS (pour Economie Sociale et Solidaire) a de beaux jours devant elle. Poursuivant une mission d’utilité sociale, elle offre une vision plus engagée d’acteurs économiques que l’on avait jusque-là cantonnés à la production de biens ou de services.
En plaçant l’humain et le collectif au centre de ses préoccupations (où se trouvait auparavant le profit), son modèle constitue aujourd’hui un entre-deux intéressant entre le public et le privé. Dans un contexte de pandémie et de crise économique, certains vont même jusqu’à le voir remplacer la figure de l’Etat Providence.
Certains questionnent cependant la sincérité de l’ESS, les plus cyniques n’y voyant qu’un positionnement de façade pour attirer les consommateurs. Pourtant, les entreprises ESS représentent aujourd’hui plus de 10 % du PIB en France, et près de 13 % des emplois.
Un avènement porteur d’espoir et qui ouvre la voie à de nouveaux labels, comme les B-Corp.
La figure du consommateur engagé et son impact sur l’entreprise ESS
Dans un monde où la consommation prend une place centrale dans nos vies, le consommateur a progressivement éclipsé le citoyen. Face à des questions majeures, comme la protection de l’environnement ou de populations réprimées, le boycott des entreprises qui font office de mauvais élèves est souvent la solution privilégiée pour faire entendre sa voix.
Ce glissement illustre la tendance des citoyens à investir de plus en plus la sphère commerciale, parfois au détriment de la sphère politique, pour mener des actions concrètes. Un meilleur accès à l’information, et la plus grande transparence qui en découle sur les différents maillons de la chaîne de production les incitent ainsi à consommer de manière plus responsable. Ce mode de consommation exerce à son tour une forme de pression silencieuse, mais efficace, sur les acteurs économiques.
D’où l’avènement de l’entreprise ESS.
De nouveaux défis à l’horizon
Le vrai défi des entreprises n’est donc plus uniquement technologique, mais bien sociologique et éthique. Si elles veulent attirer les consommateurs, mais aussi les fidéliser, elles doivent prendre soin de leur image de marque. Et pour ce faire, il leur faut présenter une image responsable et engagée, soutenue par un storytelling inspirant. Ce storytelling de marque permet notamment de présenter une vision audacieuse, mais aussi de valoriser les politiques de RSE des marques (pour Responsabilité Sociale des Entreprises) ou leur statut d’entreprise à mission, par exemple.
Le rôle de ces nouvelles formes juridiques d’entreprise est ainsi en passe de devenir incontournable. Les nouveaux labels dépoussièrent les anciens, donnant à l’entreprise ESS de nouveaux outils pour porter fièrement ses valeurs.
Le statut d’entreprise ESS peut aussi être un puissant argument pour se démarquer et se positionner face à la concurrence. Il est par exemple utilisé par le fabricant de baskets Veja, qui mise sur une chaîne de production 100 % responsable, et ne manque pas de le rappeler dans sa communication. Idem pour la griffe de vêtements d’outdoor américaine Patagonia. L’entreprise a récemment évolué sur le terrain politique et judiciaire en attentant un procès à l’ex-président Trump suite à la relance de l’exploitation d’un parc national.
Un avènement du business for impact accéléré par la crise sanitaire ?
Depuis le début de la crise sanitaire du Covid-19, l’entreprise ESS est également en passe de devenir une entreprise-providence. La pandémie a en effet poussé tous les acteurs de la société, y compris économiques, à questionner leur rapport à cette dernière.
Le PDG du groupe LVMH, Bernard Arnault, a ainsi déclaré dans une interview aux Echos que l’on ne pourrait pas sauver le monde sans les entreprises. Une tribune écrite suite à la transformation en un temps record de certaines lignes de ses usines dédiées initialement à la fabrication de parfums, pour produire du gel hydroalcoolique. Cet élan a été suivi par d’autres, comme la marque de jeans Made in France 1083. L’entreprise a elle aussi transformé ses ateliers pour fournir des masques à destination des professionnels de santé.
Ces initiatives montrent que même les grands groupes (en particulier dans les secteurs les plus polluants et les moins éthiques de l’économie) peuvent faire un pas en avant. Est-il cependant possible de dépasser la notion de profit pour faire naître une nouvelle conception de l’entreprise ESS ? Ce changement de cap est d’autant plus nécessaire qu’il semble aujourd’hui pallier aux lenteurs de l’Etat.
Le contexte actuel montre en effet que l’agilité de l’écosystème entrepreneurial peut se révéler plus efficace à relever les défis contemporains. Et ce, même si ses acteurs ne sont pas traditionnellement issus de l’ESS.
Alors, le business for impact est-il en passe de devenir la nouvelle norme ?
Le futur de l’entreprise ESS : le label B-Corp
Quelles que soient les intentions que l’on prête à ce revirement, force est de constater que l’entreprise ESS n’est pas qu’une tendance passagère. Elle fait même un pas en avant en se tournant vers de nouveaux labels, plus visibles, et aussi plus exigeants. C’est le cas de Patagonia, que l’on vient de citer. Ou encore du groupe Big Mama, de la marque Innocent, de la plateforme de crowdfunding Ulule… Toutes sont désormais estampillées B-Corp.
Né à Philadelphie en 2006, le label B Corp (pour Benefit Corporation) s’est donné pour ambition de certifier les entreprises privées qui intègrent des objectifs sociaux ou environnementaux à leur modèle économique. Pour être labellisées, elles doivent répondre à 200 questions dans 5 domaines, allant de la gouvernance à leur impact sur les communautés et l’environnement. Un processus long et pointilleux, qui est loin de céder à la complaisance. Sur les 80,000 entreprises qui s’y sont frottées, la moyenne n’a pas dépassé les 55 points (contre 80 pour prétendre à la certification).
Selon la fondatrice du cabinet Utopies (premier certifié en France), le label B-Corp dépasse ainsi le statut d’entreprise ESS. Sa reconnaissance internationale permet aux organisations qui le reçoivent de bénéficier d’une visibilité et de retombées bien plus importantes. Mais le processus de certification particulièrement strict minimise également les risques de mission washing. Pour faire partie des élus, il faut ainsi pouvoir démontrer, preuve à l’appui, l’impact positif de son modèle économique.
Un petit pas pour les 80 entreprises françaises labellisées depuis 2014… Mais un grand pas vers l’avènement du Business for good ?