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RSE et entreprise à mission : changement de cap ou rebranding ?

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Les jeunes travailleurs sont plus de 90 % à considérer la mission et les valeurs d’une entreprise comme un facteur déterminant pour postuler. On imagine sans mal que les mêmes préoccupations s’appliquent à leurs choix de consommation. 

Pour les entreprises, il est donc désormais vital d’affirmer leur attachement à certaines valeurs. Et de se doter d’une mission autre que la seule recherche du profit. Longtemps, l’engagement des acteurs économiques s’est exprimé à travers leurs efforts de RSE (pour Responsabilité Sociétale des Entreprises). Mais depuis 2019, la loi Pacte relative à la croissance et transformation des entreprises, leur permet d’aller bien plus loin. Et ce, par le biais de leur mission.

Qu’en est-il vraiment de ce passage de relais entre la RSE et l’entreprise à mission ? Cette nouvelle raison d’être des entreprises est-elle réellement contraignante ou une simple façade ? Et qu’implique-t-elle dans des aspects moins publics de leur activité, comme leur management interne ?

Nous vous proposons un zoom sur le vent d’engagement qui souffle sur les entreprises.

Qu’est-ce qu’une entreprise à mission ?

Depuis plusieurs années déjà, le rôle de l’entreprise est questionné au sein de notre société. Et ce, et pas uniquement lors des réunions d’actionnaires. Face aux nombreux scandales qui ont agité la sphère économique, impliquant notamment la responsabilité des entreprises en matière de pollution ou d’éthique du travail, la nécessité d’une mission plus sociale se fait ressentir depuis plusieurs années.   

C’est ainsi que des concepts comme celui d’entreprise “contributive” ou de “capitalisme des parties prenantes” ont émergé. Il ne s’agit plus uniquement pour les entreprises de réduire leur impact négatif sur la société ou l’environnement. Mais bel et bien de participer à créer un “monde meilleur”. En France, cette réflexion s’est matérialisée sous la loi Pacte, notamment à travers le volet de transformation de l’entreprise

Cette transformation se présente comme une fusée à 3 étages. Avec comme socle de base la fameuse RSE, soit une gestion prenant en compte les enjeux environnementaux et sociaux vis-à-vis desquels l’entreprise a une responsabilité. Vient ensuite la possibilité de se doter d’une raison d’être, et de l’inscrire dans ses statuts. Pour les entreprises les plus engagées, il sera ensuite possible d’adopter le statut d’entreprise à mission. 

La “raison d’être” de l’entreprise à mission : simple slogan ou engagement contraignant ?

Avec la loi Pacte, les entreprises peuvent donc se reconnaître une raison d’être et l’inscrire dans leur statut.  Cette raison d’être est en quelque sorte la mission que souhaite poursuivre l’organisation. Une mission pour laquelle elle devra se doter de moyens concrets pour la faire respecter en son sein, et qu’elle devra réaliser à travers son activité. 

En pratique, l’expression de cette raison d’être doit donc fournir une sorte de compas moral aux entreprises. Et guider son conseil d’administration dans les décisions importantes qu’il va prendre. Offrant ainsi un contrepoint aux seuls objectifs financiers, souvent court-termistes. 

Le hic, c’est que les implications juridiques et donc le caractère contraignant du statut d’entreprise à mission sont plutôt incertains. En effet, les associés gardent la possibilité de pouvoir changer de raison d’être, ou même de la jeter aux oubliettes. Option moins drastique mais tout aussi dérangeante, ils peuvent aussi se doter d’une mission qui soit suffisamment vague (et donc sujette aux multiples interprétations) pour ne pas être trop engageante.

Seul réel garde-fou, les entreprises à mission de plus de 50 salariés devront se doter d’un comité distinct. Ce dernier aura pour mission de contrôler que la raison d’être adoptée et les activités de l’entreprise soient bien en adéquation. 

RSE et entreprise à mission : un continuum de l’engagement et de l’expertise sociale ?

En théorie, donc, il n’y a pas de lien évident ou de suite logique entre la politique de RSE adoptée par les entreprises, et la raison d’être dont elles se dotenntt. En pratique, cependant, l’esprit de la loi Pacte trace un continuum entre les deux. 

Non seulement la RSE est considérée comme la base de toute transformation vers le statut d’entreprise à mission. Mais les pratiques responsables mises en place en amont semblent être une structure nécessaire sur laquelle s’adosser pour assurer le respect des engagements sociaux et environnementaux. 

On peut d’ailleurs analyser cette continuité à travers le concept de bissociation tel qu’il a été développé par l’essayiste Arthur Koestler. Ce dernier permet en effet de ne pas opposer RSE et entreprise à mission. Mais plutôt de les voir comme les deux facettes d’une même matrice. La première représentant l’expertise opérationnelle de l’organisation, tandis que la seconde concerne la formalisation d’un impact positif. 

A travers ce prisme, il n’est donc pas surprenant que nombreuses des nouvelles entreprises à mission aient été déjà (re)connues pour leur forte démarche RSE. C’est le cas notamment de l’assureur MAIF. Mais aussi de Léa Nature, géant de l’agroalimentaire (un secteur pointé du doigt pour son impact écologique) dont la raison d’être est d’ « agir en cohérence pour concilier économie et écologie. »

Sur plus de 20 années, l’entreprise a mis en place une politique de RSE forte, notamment dans l’objectif de diminuer son empreinte carbone. Elle a ainsi versé plus de 13 millions d’euros à près de 2 000 projets environnementaux, et a créé sa propre fondation afin de sensibiliser l’opinion publique au sujet. Son statut d’entreprise à mission lui a par la suite permis d’élargir son action. Et de « graver dans le marbre » ses engagements qui ne sont désormais plus optionnels, mais obligatoires. 

Une communication bien huilée qui ne paraît cependant authentique qu’en raison des efforts produits en amont… La RSE serait-elle donc la meilleure caution de l’entreprise à mission ?

Le soupçon de “Fair Washing” : pas de mission sans réel changement dans le management interne

En 2021, l’Observatoire des Sociétés à mission recense plus d’une centaine d’organisations. Un élan positif, certes, mais qui pose aussi la question de la réelle appétence des entreprises françaises pour la justice sociale et environnementale

 

Secoués par la pandémie, des géants comme Danone ont adopté une nouvelle raison d’être, à priori très éloignée de la préoccupation de versement de dividendes à leurs actionnaires. Mais ce nouveau statut a-t-il créé de réels changements dans la conduite de leur activité ? Et plus intéressant encore, dans la manière dont elles appréhendent leur management en interne ?

Les plus cyniques peuvent ainsi voir dans ce tournant “social” des impératifs économiques. Notamment pour attirer les jeunes talents et convaincre des consommateurs toujours plus exigeants. Mais aussi pour satisfaire aux nouvelles exigences des fonds d’investissements. Plus de 1 400 d’entre eux (représentant à eux seuls une manne de 60 000 milliards de dollars) ont en effet intégré des considérations environnementales dans leur matrice de décision de placement. Ces mêmes items sont également utilisés comme critères par les agences de notation. 

Ces clés de lecture, bien moins altruistes que ne le suggère le statut d’entreprise à mission, entraînent de nombreuses critiques. Et accusations de washing en tout genre (green, fair ou social washing). Dans un entretien pour le journal 20 minutes,  Martin Richer, consultant au cabinet Management & RSE confie recevoir de nombreuses sollicitations d’entreprises souhaitant utiliser ce titre à des fins purement commerciales. 

Transformer l’entreprise en profondeur pour honorer son engagement

Pour répondre à ces critiques, et au scepticisme des consommateurs, les entreprises à mission devront se donner les moyens de leurs nouvelles ambitions. Et notamment changer en profondeur leurs façons de faire, y compris en ce qui concerne leur management en interne. 

En plus de l’intégration des objectifs de développement durable dans tous les aspects de son activité (achat, services généraux, distribution, mais aussi communication et marketing), l’émergence d’un management plus participatif semble une piste intéressante à creuser. Pour attirer les jeunes talents, l’entreprise à mission a tout à gagner à faire émerger des “leaders” sociaux dans ses rangs. Ces derniers peuvent ainsi se charger d’encadrer le changement en interne, et de l’inscrire dans le temps long. 

Un management plus responsable peut déboucher, à terme, sur de nouvelles formes d’organisation et de gestion, plus éloignées des modèles traditionnels. Et initier un élan collaboratif, incitant les équipes à se sentir responsables de leurs projets. Mais aussi favoriser les initiatives, la créativité et l’innovation.  

Un bon exemple de cette interprétation plus holistique de l’entreprise à mission est celui de Bosch. En plus d’avoir confié la majorité de son capital à des fondations-actionnaires, l’organisation a en effet symboliquement modifié son rapport à l’autorité sur une question très actuelle, celle du télétravail. Désormais, c’est au manager de justifier son refus d’accorder à un employé la possibilité de travailler à son domicile. Et non à ce dernier de justifier son choix. 

Du RSE à l’entreprise à l’entreprise à mission (et même B Corp), il n’y a donc qu’un pas. Un pas que les organisations sont d’autant plus disposées à franchir que ce nouveau statut est très peu contraignant. Mais surtout, qu’il répond à une demande pressante de la part des consommateurs comme des jeunes travailleurs, qui ont soif d’engagements sociaux et environnementaux. Pour les attirer, les entreprises devront néanmoins montrer patte blanche. Et prouver la sincérité de leurs engagements, notamment en modifiant jusqu’à leur manière de travailler et de manager leurs équipes.

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