La pandémie a non seulement changé notre façon de travailler, mais aussi les raisons pour lesquelles nous travaillons. Les individus sont en effet de plus en plus en quête de sens au travail. Ils sont aussi plus disposés à quitter leur emploi si ce dernier n’est plus aligné avec leurs valeurs, ou s’il n’est plus source d’épanouissement. La preuve en est la vague de démissions que l’on a pu observer aux USA, et aujourd’hui en France et en Europe.
Mais réalité, la place du sens au travail n’a pas attendu le Coronavirus pour s’imposer. Dans un contexte d’hyper-concurrence entre les entreprises, le bien-être des employés est devenu un moyen pour ces dernières de retenir les talents. Mais aussi, d’aligner leur discours marketing (à destination de consommateurs eux aussi toujours plus exigeants en matière d’impact) avec leur politique RH.
Malgré ces tendances de fond, et leur impact sur la croissance à long terme des entreprises, peu d’organisations reconnaissent aujourd’hui la valeur de la passion au travail. Selon une récente étude menée par Deloitte, plus de 87% des travailleurs américains ne sont pas en mesure de contribuer à leur plein potentiel parce qu’ils ne sont pas passionnés par ce qu’ils font.
Voici quelques pistes de réflexion pour inverser la tendance, et ré-inssuffler du sens au travail…
Le sens au travail : une fin en soi ou un cap ?
Ce que l’on définit comme ayant du sens change d’une personne à l’autre. La définition, mais aussi l’importance accordée au sens au travail serait également une question de génération.
D’après une enquête réalisée par la Conférence des Grandes Ecoles, 86 % des jeunes diplômés répondent chercher en priorité un travail stimulant et en phase avec leurs valeurs. 52 % souhaitent également un métier qui serve l’intérêt général de la société.
On pourrait ainsi définir le sens au travail comme une question de finalité. Soit, une volonté de s’assurer de son impact sur des enjeux environnementaux ou sociaux. C’est l’envie d’être utile et d’un métier aligné avec ses convictions personnelles.
Mais la quête de sens n’est pas qu’une quête de finalité. Pour beaucoup, c’est aussi un enjeu plus intime, dans lequel on retrouve des considérations comme l’évolution de sa carrière et son développement personnel. Une représentation plus large, qui permet de comprendre la désorientation de certains travailleurs confrontés à des conditions aliénantes ou la sensation désagréable d’occuper un “bullshit job”.
Les nouveaux discours sur la place de la passion et du sens au travail
La quête de sens n’est pas uniquement l’apanage des sociétés dites “développées”, dans lesquelles les travailleurs peuvent s’offrir le luxe de réfléchir à l’impact de leur métier ou à sa capacité à faire d’eux de meilleures personnes.
Il y a cent ans déjà, au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’OIT (Organisation Internationale du Travail) se penchait sur la question. L’enjeu était d’atteindre la justice sociale, notamment en améliorant le bien-être physique et moral des travailleurs. Un siècle plus tard, beaucoup de chemin a été parcouru, mais il reste néanmoins du pain sur la planche.
Les préoccupations concernant la justice sociale et la quête de sens au travail restent importantes, ou s’intensifient. Elles portent sur la capacité de la croissance économique à s’accompagner d’un réel progrès humain. Mais aussi de son impact sur l’environnement et la création d’emplois à la fois décents et durables.
Des métaphores pour donner du sens à la vie et au travail
Dans un tel contexte, les métaphores que nous utilisons pour conceptualiser le sens au travail sont particulièrement utiles pour imaginer son futur. Dans “La Quête ultime du sens du travail”, Sergio Caredda analyse l’évolution de cette question ces dernières années. Il distingue ainsi les métaphores sur :
- La figure du travailleur. C’est l’idéal de l’entrepreneur durable qui s’est imposé. Un entrepreneur qui n’investit pas uniquement son capital financier, mais ses connaissances et ses compétences ainsi que celles de son réseau ;
- Le type d’organisation dominante est devenu celui de l’autonomie responsable. La hiérarchie n’a pas disparu, mais elle prend la forme d’une structure en réseau, composé de nœuds décisionnels autonomes ;
- L’entreprise est désormais distribuée. En raison de la nature plus fluide du travail et des responsabilités, les travailleurs ne remplissent plus des rôles fixes. Chaque entrepreneur durable s’y inscrit dans plusieurs réseaux auxquels il apporte son capital de compétences ;
- Le leadership est bien moins descendant et se met au service des travailleurs. Le manager occupe désormais un rôle de coach ou d’accompagnateur et non de supérieur omniscient.
Quels sont les attributs du travailleur passionné ?
Quel impact la quête de sens (et plus largement, le fait de trouver un sens à son travail) peut-elle avoir sur l’employé ? Si de plus en plus d’entreprises s’intéressent à la question, c’est bien que ces principaux attributs entraînent tous une amélioration substantielle de ses performances.
L’engagement dans un domaine spécifique
La personne en quête de sens au travail se démarque d’abord par son engagement à long terme. C’est-à-dire, par son désir d’avoir un impact durable et croissant dans un domaine bien précis. De fait, sera à même de se spécialiser et se perfectionner dans le domaine qui lui paraît le plus pertinent pour façonner un avenir qu’elle juge plus désirable.
L’engagement pousse donc les travailleurs à se concentrer sur le domaine dans lequel ils peuvent avoir le plus d’impact. Mais il se révèle aussi un puissant moteur en période de crise et donc un facteur de résilience particulièrement précieux pour les organisations.
La disposition à la quête
Cette dernière pousse les travailleurs à aller au-delà des responsabilités de leur fiche de poste. Ils ont naturellement une plus grande disposition à sonder leur environnement, à tester de nouvelles solutions et à repousser leurs propres limites.
Ce sont donc des employés plus prompts à l’innovation, à l’identification de nouvelles opportunités et à l’acquisition de compétences complémentaires.
Une appétence pour la connexion
Le travailleur en quête de sens est aussi amené à se rapprocher des autres pour trouver de meilleures solutions aux défis auxquels il est confronté. Il sera donc plus enclin à chercher l’expertise de personnes dans des domaines connexes. Mais aussi, à réfléchir à la façon dont il peut intégrer ces nouvelles connaissances.
Si le réseautage a toujours existé, il permettait essentiellement de développer sa carrière. La quête de sens au travail lui donne une autre dimension, plus collective, et donc sur laquelle les entreprises peuvent mieux capitaliser.
A qui revient la responsabilité de donner du sens au travail ?
La question est désormais de savoir à qui incombe la responsabilité de donner du sens au travail. Est-ce le rôle de l’employeur de tenir compte de cette recherche d’impact et de développement personnel ? Doit-il s’en inspirer pour changer son mode organisationnel (et notamment son management), mais aussi le positionnement et la stratégie de son entreprise ?
En théorie, non. Rien n’oblige les organisations à apporter du sens ni à se conformer aux valeurs de leurs employés. Ces éléments ne doivent d’ailleurs surtout pas faire oublier (ou passer au second plan) les obligations formelles de l’employeur. À savoir, assurer à ses salariés un revenu stable et des conditions de travail décents. Le salaire reste en effet un élément central de la valeur que l’on donne à son travail, et que ce dernier nous donne en retour.
Les secteurs les plus touchés par la grande démission ne sont ainsi pas tant ceux qui sont concernés par une perte de sens (comme le service, la santé ou même l’éducation). Mais plutôt ceux dans lesquels les conditions de travail et les niveaux de rémunération ne sont plus alignés avec les attentes des travailleurs.
Le sens comme compétence
Pour autant, les entreprises n’ont aucun intérêt à ignorer la question de la quête de sens au travail. Les objectifs d’une entreprise ne peuvent être atteints sans l’implication de ses employés. Ne serait-ce que pour réduire son turnover, mais aussi pour booster sa productivité, l’organisation devra insuffler du sens et des valeurs fortes à ses opérations comme à sa stratégie sur le long terme.
Pour cela, les recherches suggèrent d’adopter une approche plus “human-centric”. En donnant aux employés plus de contrôle sur leur journée et leur environnement de travail, les entreprises pourront leur permettre de mieux définir leur quête de sens personnel. Et surtout de s’y dédier pleinement. La gestion des performances devra également changer. Plutôt que de se limiter à la mesure de résultats, elle reflètera désormais plus le contexte dans lequel ils s’inscrivent et l’empathie que l’employeur doit à ses salariés.
La quête de sens deviendra également un moteur d’employabilité et d’évolution pour les travailleurs eux-mêmes. Ils pourront en faire une force sur le marché du travail. Notamment en valorisant leur motivation endogène ainsi que leur capacité à défendre et propulser leurs valeurs.