Qui de la poule ou de l’œuf arrive en premier ? Ce mystère insoluble peut s’appliquer à de nombreux autres phénomènes, comme celui des entreprises socialement responsables. Alors, qui des B-corp (et autres organisations engagées via la RSE) ou des consomm’acteurs est arrivé en premier ? Et laquelle de ces deux forces exerce le plus d’influence sur l’autre, la poussant à transformer ses manières de faire pour maximiser son impact positif sur la société ?
Etude après étude, il devient évident que la Génération Z est bien plus consciente et engagée socialement que ses prédécesseurs. 94 % d’entre eux considèrent en effet que les entreprises devraient participer à la résolution des conflits sociaux. Et 76 % déclarent acheter ou envisager d’acheter auprès d’une marque pour montrer leur soutien aux actions sociales qu’elle a menées.
Pourtant, l’opinion publique reste souvent sceptique face à l’intention réelle des entreprises engagées. Beaucoup considèrent leurs actions comme un moyen de booster leurs ventes, et d’attirer de nouveaux clients et employés plus libéraux. Qu’elles soient performatives ou non, ces actions n’en restent pas moins des moteurs de changements sociétaux, et parfois même politiques.
Zoom sur les leviers de cette nouvelle influence, et sur ses motivations, plus complexes qu’il n’y paraît…
Quels sont les leviers dont disposent les entreprises socialement responsables ?
Difficile aujourd’hui de nier que les marques sont de plus en plus nombreuses à se positionner dans l’arène militante. En effet, il existe autant de stratégie d’engagement que d’entreprises socialement responsables.
On peut néanmoins dégager 4 approches principales par le biais desquelles les organisations impulsent le changement et boostent leur impact.
1. Dédier une part de ses profits à des actions caritatives
La stratégie la plus classique, mais aussi la plus simple à mettre en place pour une entreprise qui souhaiterait s’engager socialement est de s’associer à une organisation caritative. Et ce faisant, de reverser un don d’une part de ses bénéfices à un projet humanitaire ou à une association.
C’est une approche adoptée par exemple par Wells Fargo, le célèbre groupe financier américain. L’entreprise reverse ainsi chaque année 1,5 % de ses revenus à plus de 14 500 organisations à but non lucratif. Elle soutient aussi des incubateurs pour accélérer la mise sur le marché de startups green.
L’avantage de se reposer sur des organismes caritatifs pour les entreprises socialement responsables est principalement opérationnel. Elles limitent ainsi leur soutien à une donation financière, et bénéficient de la visibilité et de l’expertise d’un acteur déjà présent sur le terrain. Cependant, les consommateurs attendent souvent plus des marques.
C’est ce qu’a pu remarquer TOMS, qui faisait traditionnellement don pour chaque paire vendue d’une paire de chaussures aux enfants dans le besoin. L’entreprise a en effet été critiquée pour avoir créé une dépendance auprès de ses bénéficiaires. Mais aussi, pour avoir provoqué l’effondrement de marques locales… TOMS a ainsi été contrainte de réévaluer sa stratégie. L’entreprise reverse désormais un tiers de ses bénéfices à des campagnes de justice sociale, telles que Black Lives Matter.
2. Changer ses manières de faire pour limiter autant que possible son impact négatif
Une autre voie est parfois empruntée par les entreprises socialement responsables. Elle consiste à améliorer leur processus de production pour limiter autant que possible leur impact environnemental ou sociétal.
On peut citer l’exemple de Google, qui est devenue en 2007 la première grande entreprise à atteindre la neutralité carbone. 10 ans plus tard, le géant de la Silicon Valley a également atteint son objectif de 100 % d’énergie renouvelable. Il en est même le principal acheteur de la planète !
La marque de glaces Ben & Jerry’s s’est également fait un nom grâce à son engagement pour le commerce équitable et la justice sociale. Dès 1989, l’entreprise s’est opposée à l’utilisation d’hormones de croissance bovine, en raison de son impact négatif sur l’agriculture familiale. Elle a également donné de la visibilité à l’organisation Farm Aid sur ses emballages. L’entreprise est même allée jusqu’à créer la Fondation Ben & Jerry’s, qui distribue des subventions à des projets de justice sociale.
3. Améliorer les conditions de travail de ses employés
Pour transformer la société, les entreprises socialement responsables peuvent commencer par transformer les conditions de travail de leurs employés. Mais aussi (et surtout) se faire le moteur de changements profonds dans la façon dont leur expérience au sein de l’organisation peut les aider à évoluer et mieux les armer pour l’avenir.
Walt Disney a ainsi énormément investi dans la formation des salariés, estimant que l’éducation était clé pour créer des opportunités. Lancée en 2018, l’initiative Disney’s Aspire couvre 100 % de leurs frais de formation. Starbucks va plus loin en associant éducation, équité raciale et sociale. L’entreprise a ainsi annoncé la création d’un programme de mentorat pour offrir aux personnes de couleur et aux travailleurs autochtones des opportunités de partenariat avec ses dirigeants.
De son côté, Netflix s’est engagé à soutenir ses employés et leurs familles. Le géant de la VOD offre ainsi 52 semaines de congé parental payé aux parents biologiques et non biologiques (ce qui inclut l’adoption). Un énorme gap avec les 18 semaines offertes en moyenne par les grandes entreprises technologiques.
4. Transformer la société à travers sa communauté
Plus récemment, on a vu un nombre croissant d’entreprises socialement responsables tenir des positions plus radicales en faveur de transformations sociétales globales. Des marques comme Amazon, Apple, Nike ou Uber ont ainsi affirmé sur les réseaux leur soutien pour le mouvement Black Lives Matter. Elles ont promis des contributions importantes aux organisations dédiées à l’égalité raciale et à la réforme de la justice pénale.
Les plateformes de contenu comme Netflix et Spotify utilisent également leur visibilité pour afficher leur soutien au mouvement LGBT, notamment pendant le mois de la fierté. Spotify a pris position pour le droit des femmes et la protection des mineurs en supprimant de son catalogue des artistes accusés de violences sexuelles (dont R Kelly).
Plus surprenant, des entreprises controversées comme Philip Morris et Walmart se sont engagées respectivement à stopper la commercialisation de tabac, et à restreindre l’accès aux armes.
Les principales causes de l’activisme des entreprises
Les entreprises socialement responsables sont aussi protéiformes dans leurs façons de s’engager que dans les motivations qui les poussent à le faire.
Parmi les principales causes de ce regain d’intérêt pour l’activisme, il faut mentionner l’influence de la figure du consomm’acteur, notamment chez les millenials. Comme on l’a déjà mentionné, les générations Y et Z estiment que les marques doivent investir dans l’amélioration de la société. S’engager, et surtout communiquer sur cet engagement permet donc aux marques de s’attirer les faveurs de ces nouveaux consommateurs.
Néanmoins, et comme le montrent les recherches menées par Cory Maks-Salomon, maître de conférences en science politique à l’université George Washington, il n’y a aucune corrélation entre l’activisme social des entreprises et leur valorisation boursière. Il en conclut que l’impulsion à rejoindre le club des entreprises socialement responsables est non pas externe, mais interne.
Ce serait donc l’idéologie des cadres supérieurs qui agirait comme prédicateur de l’engagement social des entreprises. On peut citer comme exemple l’arrivée de Tim Cook chez Apple et d’Howard Schultz chez Starbucks. Tous deux ont utilisé leur entreprise comme un outil pour faire progresser leurs valeurs personnelles.
Et ce, notamment parce qu’elles étaient axées sur le consommateur, ce qui constitue une incitation à séduire les jeunes acheteurs libéraux. Mais aussi parce qu’elles reposent elles-mêmes sur une base d’employées diversifiée. Ainsi, l’activisme permet de cultiver un environnement inclusif, favorisant le recrutement et la rétention des talents.
Comment capitaliser et faire perdurer cet engagement sur le long terme ?
Cette tendance à l’activisme peut-elle se traduire pour autant par un changement durable ? Et mettre au même niveau l’engagement pro-social et pro-économique des entreprises ?
Il semblerait que oui, à condition d’activer la contagion comportementale. En étudiant l’activisme pour les droits de la communauté LGBT, Cory Maks-Salomon remarque ainsi que l’activisme dur (comme le lobbying ou les contributions aux ONG) de certaines entreprises leaders permet de favoriser un activisme “doux” généralisé dans son secteur. Une forme de pression des pairs qui s’observe également chez les consommateurs eux-mêmes. Et entraîne un cercle vertueux d’action sociale positive à tous les niveaux.
Un engagement sur le long terme passe aussi nécessairement par une transformation allant de l’extérieur vers l’intérieur. Les marques les plus susceptibles d’impulser un changement positif sont celles qui l’encourageront au sein même de leur organisation. Non seulement en le rendant accessible à leurs employés, mais aussi en acceptant de tâtonner, et reconnaissant leurs erreurs. Une humilité qui sera le gage de leur sincérité, et de leur capacité à rompre avec le Business As Usual…