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Crise du COVID-19 : quel impact sur les stratégies d'entreprise ?

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Par Denis Dauchy, PhD, Professeur de Stratégie au sein des formations en ligne de l’EDHEC Business School.

Comment maîtriser sa stratégie en temps de crise ? Comment se projeter dans l’avenir pour commencer à le construire ? Si la période que nous traversons aujourd’hui est profondément déstabilisante, elle apparaît aussi comme une opportunité de prendre du recul sur la manière dont nous élaborons nos stratégies d’entreprises. Dès aujourd’hui, elle nous permet également d’imaginer l’après, et de s’interroger sur les grandes tendances qui pourraient bien s’accélérer.

Stratégie d'entreprise

Au cœur d’une crise que personne n’avait prévu, l’idée même de stratégie nous interroge : à quoi bon faire de la stratégie, puisque tout n’est qu’incertitude et inconnu ? À mon sens, baisser ainsi les bras serait une erreur fatale. Cette période nous appelle au contraire à faire plus de stratégie – mais différemment. Car plus que jamais, les dirigeants sont au défi de poser un cap, d’insuffler une énergie au sein de leur organisation. Mais surtout : ils ont la responsabilité de penser l’après, et ce dès aujourd’hui. Par quoi commencer ? Il est avant tout nécessaire de sortir d’une logique binaire qui projetterait une sortie de crise en mode « retour à la normale ». Se projeter dans une cohabitation avec l’état de crise actuel, au moins pendant un temps, est plus réaliste. Dans cette perspective, parler de stratégie de crise ne suffit pas : pour mieux se tourner vers l’avenir, si nous parlions plutôt de stratégie de rebond ?

Pour l’après-crise : renouveler sa pensée et sa pratique de la stratégie

Au moment où nous vivons des événements que peu d’entre nous avaient à l’esprit, nous réalisons que les entreprises ont peut-être trop confondu risque et incertitude. Or, la probabilisation du risque, aussi sophistiquée soit-elle, ne remplacera jamais la prospective. La première piste à suivre pour rebondir consisterait à replacer cette dernière au cœur de nos approches stratégiques, en se réappropriant notamment le concept de « scénario », qui revient aujourd’hui en force. Sur ce sujet, le travail de la Chaire EDHEC for Foresight, Innovation and Transformation offre des ressources particulièrement passionnantes.

La crise invite également les dirigeants à renouveler les grilles d’analyse avec lesquels ils appréhendent leur environnement, pour en adopter une vision plus complexe et systémique. Car tout est aujourd’hui en mouvement, en transformation. Dans le monde économique, les frontières classiques entre industries tendent à s’effacer face à l’émergence d’écosystèmes plus foisonnants – dont la MedTech et la EdTech sont de bonnes illustrations. Plus largement, le monde au sens géopolitique est en pleine reconfiguration : l’avenir sera-t-il bipolaire, autour d’une relation États-Unis-Chine, ou apolaire, fait de relations entre écosystèmes locaux ? Dans un cas comme dans l’autre, les entreprises seront impactées. Pour se repérer dans le présent et construire l’avenir, de nouvelles grilles apparaissent : la Low Touch Economy, s’intéresse par exemple à la place que tiendra le sanitaire dans le monde économique post Covid-19. S’appuyer sur des grilles de ce genre permet d’appréhender le type de scénario envisageable pour votre entreprise, et d’en tirer les conséquences pour consolider ou réorienter votre modèle.

La résilience, critère clé de la force stratégique interne

Rebondir exige de la résilience, une notion qui révèle aujourd’hui plus que jamais son importance stratégique. Comment la cultiver ? En remettant l’accent sur certaines bases négligées en temps « normal » : les plans de contingence, la duplication de certains actifs… Impossible également de passer à côté d’une réflexion sur son business model et son agilité : on constate aujourd’hui à quel point les entreprises les plus monolithiques sont impactées plus violemment – à l’instar de Primark, qui subit durement son déficit de stratégie omnicanal. Mais la notion de résilience est avant tout très humaine et culturelle. Penser et développer sa résilience est un mouvement collectif. Il peut donc être intéressant de commencer par auditer son entreprise sous cet angle, en s’intéressant par exemple aux types d’intelligences identifiables en son sein (émotionnelle, comportementale…), au type de leadership en vigueur, ou à la notion de résilience sociale.

De la prospective à la notion de résilience : de manière générale, la crise invite les entreprises à engager une réflexion stratégique ambitieuse. Car la logique post-crise est fondée sur la pro-action. Sans plus attendre, il faut anticiper les macro-tendances qui impactaient déjà le monde des affaires depuis quelques années et qui risquent de s’accélérer.

Finalité de l’entreprise et chaîne de valeur : repenser ses fondamentaux stratégique

La première accélération à prévoir est le besoin de définir la finalité de l’entreprise au-delà de la pure création de valeur financière. Cette quête de sens était déjà engagée avant la crise, enracinée dans des évolutions sociétales irréversibles. L’ensemble du narratif doit changer pour intégrer l’ensemble des parties prenantes : quel est l’impact de mon activité sur la santé, le climat, le bien-être sociétal ? Dans les mois qui viennent, l’aspect sanitaire restera certainement crucial, y compris pour des entreprises qui ne s’en étaient jamais préoccupées auparavant. À cet égard, la création de certifications est un outil stratégique intéressant : Accor vient ainsi de communiquer sur une nouveau label créé avec Bureau Veritas, qui a vocation à garantir leur sérieux sanitaire dans la reprise prochaine de leurs activités.
Pour incarner concrètement ces nouveaux narratifs, les propositions de valeurs – ce qui fait l’utilité de chaque entreprise – vont devoir continuer à évoluer fortement, autour de notions aussi incontournables que le local, la sécurité, la santé, la confiance, l’authenticité, le luxe « silencieux » ou l’usage. La question du sourcing, notamment, est plus que jamais sur le devant de la scène. Sans croire à une « démondialisation », on peut imaginer pour demain le besoin d’un retour aux fondamentaux, vers des boucles plus courtes et la montée en puissance du direct to consumer. Le sujet n’est pas nouveau, mais dans cette révision de la chaîne de valeur tout est une question de tempo : de nombreuses entreprises savaient qu’elles avaient intérêt à diversifier leur sourcing mais ont réagi trop lentement.

Logique d’écosystèmes et organisation déconcentrée : redonner de l’énergie à son entreprise

Dans la continuité de cette réflexion sur la chaîne de valeur, la crise invite également à s’interroger sur le réseau de partenaires qui gravitent autour de chaque entreprise : quel est-il aujourd’hui ? Quelles alliances stratégiques tisser pour demain ? Certains groupes sont d’ores et déjà sur les starting blocks pour acquérir de nouveaux business, s’inscrivant dans une logique d’écosystème en pleine accélération. Même un groupe automobile allemand comme BMW, que l’on pourrait penser plus classique et normé, s’inscrit dans cette logique d’écosystème combinant partenariats, acquisitions et collaboration avec des start-ups innovantes. Écosystémiques par nature, les modèles de plateformes ou de marketplaces sont également en pleine cohérence avec cette tendance – à l’instar d’entreprises aussi différentes qu’Airbnb ou ManoMano.

Enfin, cette crise aura un impact organisationnel que la stratégie ne pourra ignorer. Ce contexte nous oblige et nous apprend à expérimenter de nouveaux modes de travail et de collaboration, une nouvelle articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle… Pour faire face à l’urgence et à l’inconnu, les managers et leaders peuvent être tentés de recourir à une approche plus centralisatrice et verticale. Pourtant, il sera bientôt nécessaire de redonner du souffle et de l’énergie à ses équipes en relâchant la bride. Et si la déconcentration était la clé du rebond ? À ce titre, l’exemple d’Haïer est devenu un cas d’école, avec une organisation en unités autonomes et connectées, en prise directe avec le marché.

Passée la sidération, et malgré des difficultés parfois extrêmes, la crise que nous vivons tous invite donc les dirigeants à la réflexion et à l’action, non seulement pour aujourd’hui mais surtout pour demain. « Les moments de crise produisent un redoublement de vie chez les hommes », disait Chateaubriand. Tout est là : cette période difficile nous oblige à faire un pas de côté et à nous dépasser. Une invitation qu’il serait dommage de refuser.

BIO

Denis Dauchy, PhD, est professeur de stratégie d’entreprise à l’EDHEC Business School. Dans le cadre de ses activités de formation et de conseil, il interagit avec les cadres dirigeants et les hauts potentiels sur des sujets tels que la stratégie et la modélisation d’entreprise, la gestion de la complexité et la gouvernance d’entreprise. Une deuxième édition de son livre – « 7 étapes pour un business model solide » – est parue chez Dunod en 2013. Denis anime ou organise régulièrement des séminaires à l’étranger (Afrique, Inde, Chine, Russie, ailleurs en Europe, etc.) pour des partenaires académiques et des entreprises. Il a participé au Programme d’Enseignement International (IMD Lausanne) et au Programme d’Apprentissage Centré sur les Participants (Harvard). Il est également expert pour l’Association française Progrès du Management (APM).

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