Nous dirigeons-nous vers un futur sans cash ? Pour de nombreux observateurs, l’arrivée des méthodes de paiement numérique et mobile, et surtout celle des crypto-monnaies, ont complètement transformé le secteur financier. Un bouleversement qui s’est évidemment accéléré avec la pandémie, l’argent liquide n’étant plus seulement considéré comme obsolète, mais comme un potentiel vecteur de contamination.
En réalité, l’avènement d’une société cashless n’est pas aussi évidente qu’il n’y paraît.
Loin d’avoir dit leur dernier mot, les billets de banque et autres monnaies sonnantes et trébuchantes n’ont pas complètement perdu de leur attrait… Décryptage.
Secteur financier : est-ce la fin du cash ?
Ce n’est pas la première fois que l’on annonce la mise à mort de l’argent liquide. Depuis que les transactions par carte ont dépassé celles en espèce (en 2017 pour le Royaume Uni), le cash semble être en état de disgrâce. Un rapport du National Audit Office estime ainsi que le volume des paiements en espèces effectués en Grande-Bretagne a chuté de 59 % en moins de 10 ans.
Parmi les pays qui ouvrent la voie à une société sans numéraire, on retrouve surtout les États nordiques. C’est le cas de la Norvège, par exemple, où le cash n’est désormais utilisé que pour 4 % des transactions. Mais aussi de la Suède, la banque centrale suédoise ayant révélé qu’au cours des dix dernières années, la proportion de citoyens payant en espèces est passée de 39 % à seulement 9 %. Les billets de banque ne seraient plus utilisés que pour les petites transactions quotidiennes, et principalement par les personnes âgées.
En France, l’acceptation des espèces est protégée par la loi. Les commerçants qui font de la résistance s’exposent à une amende de 150 €. Malgré ce cadre légal, seuls 9 % des personnes interrogées par la Banque de France préfèrent régler leurs achats en espèces. Un chiffre bien en dessous de la moyenne européenne, qui est de 27 %.
La pandémie a en effet vu s’accélérer la transition vers les paiements numériques et sans contact. Une étude menée par Paysafe révèle par exemple que 72 % des sondés estiment que le COVID-19 aura un impact sur leur utilisation future de la monnaie papier.
Le cash n’a pas dit son dernier mot
Pourtant, à y regarder de plus près, nous aurions tort d’annoncer trop vite la mort de l’argent liquide. Anonyme, stable et accepté pratiquement partout, le cash reste profondément ancré dans notre secteur financier. Un paradoxe qui peut sembler difficile à déchiffrer, dans un contexte où ses inconvénients ne cessent d’être martelés. Mais surtout, face à l’omniprésence de ses concurrents…
Cependant, les chiffres ne mentent pas. Il n’y a jamais eu autant d’argent liquide en circulation dans toute notre histoire. Ce sont au total plus de 2000 milliards de dollars en pièces et billets de banque qui inondent aujourd’hui le marché mondial. Et après que son utilisation ait connu des chutes vertigineuses (plus de 35 % pendant la pandémie), la situation semble depuis être revenue à la normale.
Étonnamment, le cash est moins utilisé, mais il est aussi plus populaire que jamais. Selon les spécialistes, nous retirons ainsi de moins en moins au guichet automatique. Mais lorsque nous le faisons, c’est pour sortir des sommes plus importantes.
Pourquoi une telle fidélité aux espèces ? Prenons l’exemple du Japon. Le pays du Soleil Levant a conservé une très forte dépendance à l’argent liquide, notamment en raison de la démographie de sa population. Les seniors, qui ont toujours utilisé du cash, n’ont en effet pas forcément envie de passer aux paiements numériques.
Au-delà de l’image d’épinal des billets de banque cachés sous le sommier, les personnes âgées ou souffrant de troubles d’apprentissage craignent de se faire arnaquer. Le cash reste donc une valeur refuge et un symbole d’indépendance financière.
Les crypto-monnaies : un virage mainstream qui se fait désirer
Parmi les principaux concurrents du cash, on trouve évidemment les monnaies numériques. L’arrivée des crypto-monnaies devait en effet permettre de supprimer l’intermédiaire bancaire. En l’occurrence, les banques centrales, qui émettent la monnaie. A sa création, le Bitcoin était ainsi envisagé comme un mode de paiement peer-to-peer (particulier à particulier) et accessible à tous (en particulier, aux exclus du secteur financier alors en place).
Plus de 10 après, force est de constater que la philosophie derrière le projet du Bitcoin a pris du plomb dans l’aile. Les crypto-monnaies (et plus globalement les technologies adossées à la blockchain) sont en effet plus généralement utilisées à des fins spéculatives. Les chutes libres ponctuelles que connaît le marché des crypto n’arrangent rien. D’autant plus que même lesdits “stable coins” comme l’UST, censés pourtant être, comme leur nom l’indique, plus stables, ne sont pas épargnés.
Résultat : la demande a du mal à suivre. Le prestataire de paiements Stripe a d’ailleurs décidé de rétropédaler sur son adoption des crypto. Ces dernières n’ont plus été prises en charge par l’API, tout simplement parce que ses utilisateurs ne s’en servaient que de manière très sporadique.
Le secteur financier s’adapte à des contextes locaux différents
Si l’avenir ne sera donc pas forcément cashless, impossible de nier que les méthodes de paiement se sont énormément diversifiées. Une bonne nouvelle pour celles et ceux que le secteur financier avait tendance à oublier.
On a ainsi vu des alternatives comme le paiement mobile ou par QR code se démocratiser. C’est le cas par exemple en Chine, où des solutions comme AliPay et WeChat Pay s’imposent face aux banques. Idem pour l’Afrique, où les réseaux de carte bancaire (notamment MasterCard et Visa) tardent à s’implanter. Résultat : plus de 490 milliards de dollars ont transité par Mobile Money sur le continent. Et les nigérians étaient plus de 60 % à utiliser le paiement mobile en 2021.
Le cash est mort… vive le cash !
Si l’utilisation des espèces diminue considérablement, elle est loin d’avoir disparu de notre quotidien. Et sa popularité ne s’explique pas uniquement par les difficultés que peuvent rencontrer certains d’entre nous à s’en détourner. Un éventuel futur cashless soulèverait en effet des problèmes existentiels pour les états.
C’est le cas notamment en Suède, où la banque centrale s’inquiète de perdre le contrôle de son système monétaire et la privatisation de son secteur financier. Le parlement suédois a ainsi tenu des débats pour parer à un éventuel piratage de son système. Des discussions qui mettent en lumière les vulnérabilités auxquelles la société s’exposerait en cas de virage 100 % numérique.
La priorité serait donc non pas de se débarrasser complètement de l’argent liquide, mais plutôt de mettre à profit les nouvelles technologies pour en faciliter l’accès et l’acceptation transfrontalière. Ce n’est donc pas sans ironie que l’on peut observer que ceux par qui l’obsolescence du cash devaient arriver contribuent en réalité à assurer sa pérennité !